
Entretien : Pablo Grand Mourcel, le « Visual Wrestler »
On pourrait dire de Pablo Grand Mourcel qu’il est un grand illustrateur, mais ce serait réducteur : cet artiste au trait immédiatement reconnaissable réalise aussi des vidéoclips, des sculptures-trophées ou encore des pendentifs. Sa versatilité et son univers nous ont séduit au premier coup d’œil ; vous pourrez donc découvrir des œuvres inédites de Pablo chez French Theory. Rencontre avec un artiste passionnant…

Pablo Grand Mourcel pour French Theory : "Etreinte"
Sur ton site internet et ta bio Instagram, tu te définis comme un “Visual wrestler”. Première question très simple : qu’est-ce que c’est, un Visual wrestler ? Et avec quoi on lutte, quand on est artiste ?
J’ai imaginé ce terme au moment où j’ai réalisé cette série sur la lutte. À l’époque, je n’osais pas me définir comme illustrateur, par pudeur. En tant qu’artiste, la chose avec laquelle on lutte, c’est probablement l’identité à laquelle on nous assigne. Je prends les projets comme ils viennent et je mène à bien mes envies, qu’elles entrent ou non dans un projet de commande. J’expérimente et ça n’est pas à moi de dire si mes expériences sont de l’art ou autre chose.
En parallèle de tes illustrations, tu crées également des talismans. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?
Quand j’ai commencé à fabriquer mes talismans, j’avais en tête de fabriquer des grigris de protection pour ma famille. Je ne voulais pas les vendre parce qu’ils étaient liés à la magie et à l’intime, après avoir diffuser quelques images des
talisman, j’ai été amené à en fabriquer sur mesure, dans une démarche de troc. En rencontrant les gens, ils me donnaient des objets, des recettes, m’apprenaient des pratiques artistiques… Pour moi, c’était une expérience d’interaction directe à partir d’un réseau, Instagram, où on se rencontre très peu.
Lors de tes études, tu as fait un stage chez le studio de Steven Harrington, l’un des grands noms du graphisme moderne. Il a collaboré avec les plus grandes marques, des artistes immenses, et son personnage de palmier est devenu iconique. Qu’as-tu appris auprès de lui ?
À l’époque, j’étais un jeune designer ; ce stage m’a permis d’apprendre tous les processus de création au sein d’un studio, de la relation avec les clients à la gestion de projet. Mais au-delà de ça, le studio possédait un espace atelier. Steven Harrington produisait des commandes comme graphiste mais, dans le même lieu, il poursuivait ses recherches d’artiste et testait de nouvelles choses. Il y avait une synergie entre les deux parties de son activité, graphisme et illustration. Ça m’a beaucoup inspiré.
Suite à cette expérience, tu as décidé de monter tes propres studios indépendants, Super Groupe puis Maison Solide. Pourquoi ce choix de l’indépendance ?
Ça s’est fait assez naturellement. Pendant mes études DSAA mode et environnement, j’ai reçu une formation très expérimentale, qui s’apparente peut-être à celle des Arts Déco. J’étudiais avec des profils très variés, certains venaient de BTS communication visuelle, d’autres du design textile, de la mode… La dernière année, pendant un stage à Berlin où j’étudiais l’animation, j’ai pu participer à des concours et des demandes de subventions, cela m’a permis très vite de proposer mes projets. Avec Lisa Laubreaux, nous avons à l’époque fondé le studio Super Groupe, dans cette logique de monter des projets autour de l’illustration, sur différents supports, en mixant les mediums. Très vite, à Paris, nous avons imaginé des ateliers au Point Ephémère, participé à des festivals, créé des animations au Wanderlust. La question de trouver une agence où aller travailler ne s’est jamais vraiment posée. On voulait poursuivre dans cette dynamique des projets qui s’enchaînaient.
Sérigraphies, talismans en bronze, trophées de foot, tissus… Tu travailles sur des supports très variés. Quel est ton processus de création ? L’idée arrive-t-elle avant le medium, ou bien est-ce l’inverse ?
Je suis conditionné par mon apprentissage de graphiste. J’ai besoin d’une commande ou d’une contrainte pour commencer à travailler. Le lieu ou le thème est le point de départ. Par exemple, la série des trophées est née d’une initiative de Papier Magazine consacrée à la coupe du Monde 98. J’avais découvert au préalable l’architecture des trophées qui sont démontables à l’envi. Je me suis amusé avec cette idée en fabricant six totems à l’effigie des stars de 1998.
Ton style est parfois minimaliste dans le trait et les couleurs. Dans plusieurs séries, tu déformes le corps humain. Comment fais-tu en sorte de rendre tes illustrations très lisibles ?
Je commence souvent par un dessin précis, aux bonnes proportions, avec les ombres. Puis j’en réalise plusieurs autres en essayant de réduire, d’assécher et de rendre la production plus lisible à mon goût. J’ai besoin d’une phase d’étude pour déconstruire le dessin et y trouver ce que je veux.
Question toute bête : sur tes travaux d’illustration, quels sont les supports et outils que tu utilises ?
Je réalise des esquisses au crayon, je repasse au noir et je colorie et j’ombre sur une tablette graphique et un écran.
En 2014, tu as co-réalisé avec Antoine Marie le clip du morceau « La Malinche », pour le groupe Feu! Chatterton. Comment as-tu appréhendé de travailler en vidéo ?
Dans ma formation, j’ai d’abord étudié la vidéo avant de me tourner vers l’illustration. Arthur, le chanteur du groupe, et Antoine Marie sont des amis. Ils m’ont parlé de ce projet de clip. Antoine avait des idées de scénario, tandis que j’avais une inspiration plus graphique – notre échange était très fructueux. Arthur nous a proposé de réaliser le clip ensemble ; on s’est retrouvés à gérer un budget, à monter une équipe… La pression était importante puisque que c’était le premier clip du groupe et il y avait encore beaucoup de questions sur la façon dont ils voulaient se montrer. Il fallait être attentif à chaque détail, mais aujourd’hui on est très fiers du résultat. On a fait de cette histoire d’amour un conte contemporain, en s’appuyant sur des objets et en piochant dans l’histoire qu’ils pouvaient raconter.
"Le cœur de ma pratique, c’est l’art populaire."Pablo Grand Mourcel
D’où te vient cette passion pour le sport, qui traverse beaucoup de tes travaux ?
Graphiquement, cet univers est passionnant : les maillots, les trophées, les coupes de cheveux, tout est très marqué. Je me suis par ailleurs intéressé à la lutte autour de l’engouement pour le MMA, les arts martiaux mixtes, qui fascinent par leur violence. Je trouvais drôle que personne n’ait l’air de remarquer l’aspect érotique de ces affrontements, de ces positions improbables. En travaillant sur les corps, j’ai produit une série humoristique et une série plus sculptural, avec des sérigraphies monochromes en volume qui ressemblaient presque à des statues imbriquées, comme « Étreinte », qui a été produite pour French Theory. Avec le recul, je me dis que j’avais déjà à l’époque envie de faire du volume et que c’est arrivé grâce à ce thème.

Pablo Grand Mourcel
Quelles sont tes autres sources d’inspiration ?
Elles peuvent venir de partout, mais le cœur de ma pratique reste l’art populaire. Le sport, le foot, des choses très accessibles. J’aime aussi l’idée de parler au plus grand nombre ; En créant les talismans, Je me suis aussi
intéressé aux rites de passage et aux différents symboles dans la religion. Dans ma pratique du dessin, je suis clairement plus intéressé par l’humain et l’idée de déformation, de torsion et de tension dans les corps. Récemment, j’ai assisté au championnat de France de bras de fer, pendant laquelle j’ai pris pas mal de photos. Peut-être que ça irriguera mon travail à un moment…
Cela va bientôt faire quinze ans que tu vis de ton art. Que peut-on te souhaiter pour les quinze prochaines années ?
J’aimerais faire un char énorme pour un carnaval, comme celui de Rio, qui mixerait sculpture, dessin, costumes… Ou bien un train fantôme, qui rassemble de la même façon un univers entier. Dans cette idée, je rêverais de réaliser une bouche énorme qui avalerait les passants à l’entrée d’un hôtel ou d’un bar !
Pablo Grand Mourcel est l’un des premiers artistes invités à exposer chez French Theory. Il a produit pour l’occasion une série d’illustrations inédites, à découvrir à l’hôtel dans la Galerie Qui Monte, dans les chambres ainsi que dans notre shop, signées et en édition limitée.